Région du Centre-Nord

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Suspension du CDP, de l’ADF/RDA et de la FEDAP/BC : des hommes politiques apprécient

Par décret, le gouvernement de la transition a décidé de suspendre, pour diverses raisons, le CDP, l’ADF/RDA et la FEDAP-BC. Dans ce micro-trottoir, des hommes politiques apprécient l’opportunité de cette décision ainsi que ses probables répercutions sur le landerneau politique burkinabè.

Etienne Traoré, PDS/Metba :Je pense que cette suspension a été faite selon les textes. Le ministre a bien visé la charte des partis politiques. Cette charte encadre les activités des partis politiques. Elle comporte des droits et des devoirs. 
Le ministre a estimé qu’il y a un déphasage par rapport aux devoirs, c’est-à-dire que des actions sont susceptibles non pas de renforcer la concorde, mais de verser dans la division. En ce moment, il a droit de rappeler à ces partis qu’ils ne doivent pas s’écarter de leurs devoirs. Et dans ce sens, il n’y a pas de raison qu’on puisse dire que ce n’est pas légal. Qui plus est, on leur donne l’autorisation de porter leur plainte là où il faut pour éventuellement se faire réhabiliter. Pour moi, on reste donc dans le cadre du droit. Et c’est cela qui est l’essentiel. 
Si nous prenons seulement le cas du Mali où il y a eu une révolution sous Moussa Traoré, toutes les structures qui étaient liées à l’UDPMT ont été interdits d’activités. 
Si certains utilisent l’inclusion que nous avons acceptée pour essayer de faire de la subversion, le ministre de l’Administration territoriale a effectivement le droit de prendre ses responsabilités à ce niveau.

Abdoul Karim Sango : Les partis politiques sont régis par la loi n° 032-2001 du 29 novembre 2001 portant charte des partis politiques. Cette loi confère des droits aux partis politiques mais elle les soumet aussi à des obligations. Ainsi, les partis doivent se conformer à leur statut, avoir un siège fonctionnel et respecter les lois de la République notamment en évitant de poser des actes de nature à porter atteinte à la sûreté et à la sécurité de l’Etat. Les partis doivent aussi éviter de développer un discours xénophobe, raciste… Si un parti ne se conforme pas à ces obligations, il peut faire l’objet de suspension en application de l’article 30 de la charte des partis politiques. Déjà en 2012, des partis avaient été suspendus pour violation de leurs obligations. 
Cependant les sanctions doivent respecter les conditions suivantes : d’une part, la suspension est limitée dans le temps et ne peux excéder trois mois ; d’autre part, la décision de sanction doit être motivée. Par ailleurs, il faudra respecter les droits de la défense garantis pour toute personne devant faire l’objet d’une sanction. Le respect des droits de la défense est un principe général de droit qui a même aujourd’hui une valeur constitutionnelle selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel français. Ce principe, même quand il n’est pas expressément prévu par la loi, doit être respecté ; et cela relève du bon sens élémentaire. Car, on ne peut sanctionner une personne sans l’avoir entendu au préalable. Est-ce que les décisions du ministre suspendant le CDP et l’ADF/RDA respectent toutes ces conditions ? 
Il me semble à première vue que les décisions sont insuffisamment motivées. L’arrêté évoque vaguement « des activités incompatibles avec la loi portant charte des partis politiques ». Il faut que le gouvernement explique très clairement ce qu’il reproche à ces deux partis ; et c’est en cela que l’on saura si leurs activités sont incompatibles avec les lois de la République. Dans le même sens, j’ose espérer que les droits de la défense ont été respectés en donnant l’occasion à ces deux partis de s’expliquer sur ce qui leur est reproché. Si cela n’est pas avéré, alors il leur appartient d’introduire un recours en illégalité contre la décision et ils peuvent en obtenir l’annulation. 
Rien n’empêche aussi le ministre de retirer ses décisions pour les reprendre en respectant la légalité. Les autorités de la transition gagneraient à mieux encadrer au plan juridique les décisions qu’elles prennent ; sinon, elles courent le risque de fragiliser l’autorité de l’Etat dans un contexte où pour un rien, tout le monde veut manifester oubliant que la mission principale de la transition ce n’est pas de régler tous les problèmes des Burkinabè, mais d’organiser les élections. Quand on gère l’Etat, il faut éviter d’agir dans la précipitation. Les décisions doivent être suffisamment réfléchies pour les mettre à l’abri de l’illégalité et de l’arbitraire.

« La sanction de la FEDAP/BC est timide »

Pour ce qui concerne la FEDAP/BC, il me semble que la sanction qui lui a été infligée est timide. En effet, en droit burkinabè, les organisations de la société civile sont régies par la loi 10/92 du 15 décembre 1992 et prennent l’appellation d’association ou de syndicat. Aux termes des dispositions de cette loi, les organisations de la société civile n’ont pas pour objet de mener des activités politiques au sens de la conquête du pouvoir. Elles doivent rester à équidistance des partis politiques. Elles ont pour vocation d’influencer les politiques publiques dans le sens des intérêts qu’elles défendent. C’est donc au mépris de cette loi que la FEDAP/BC a été créée comme une sorte de force concurrente aux partis politiques, mais surtout au CDP. Du reste, à la création de cette organisation, l’ancien Secrétaire général du MATDS Monsieur Séré Kalfara, un haut cadre de notre administration publique, s’était opposé à ce qu’on lui délivre un récépissé. Selon mes informations, cela lui a valu de perdre son poste de SG. Nous étions au temps du parti Etat. En effet, Jusqu’à la chute du régime Compaoré et ce depuis 1991, le CDP a été confondu à l’Etat ; d’où, une très forte politisation de notre administration publique qui fut historiquement l’une des plus neutres d’Afrique. 
Si la FEDAP/BC a pu mener toutes ces activités politiques, c’est parce que cette organisation était affiliée au pouvoir en place qui ne l’aurait pas toléré pour d’autres organisations. Il me semble donc que la mesure à appliquer à cette organisation c’est plutôt la dissolution.

Bénéwendé Stanislas Sankara, Président de l’UNIR/PS : La suspension de la FEDAP/BC est une mesure louable. Au lieu d’une simple suspension, on aurait pu purement et simplement retirer son récépissé au regard de la loi qui régit les associations qui n’ont pas pour vocation de faire de la politique. Il s’est révélé que la FEDAP/BC était en réalité, sous le vocable associatif, plus qu’un parti politique. Nous avons toujours demandé que la FEDAP/BC ne soit pas dans une concurrence déloyale avec les partis politiques et que de ce fait, on puisse lui retirer son récépissé. Aujourd’hui s’il y a un arrêté qui suspend ses activités, ce n’est que justice.

« Je suis à la fois surpris et gêné par les arrêtés »

Par contre, en ce qui concerne le CDP et l’ADF/RDA qui sont des partis politiques, je dois avouer que je suis à la fois surpris et gêné par les arrêtés qui ont été pris par le ministère de l’administration territoriale et de la sécurité pour la simple raison que, rappelez-vous quand on élaborait la charte de la transition, au moment où l’insurrection était encore en ébullition, il y avait une certaine opinion qui pensait qu’on allait prendre des mesures contre les anciens dignitaires de ces partis politiques. Il n’en a absolument rien été. Ce qui me paraît même une flagrante violation de la charte africaine sur la démocratie et les élections, charte de l’Union africaine que le Burkina a ratifiée. Cette charte dit que quand des dirigeants politiques usent de leur position pour aller contre les principes démocratiques, ils sont passibles de poursuites judiciaires. On peut même les sanctionner au plan politique c’est-à-dire qu’ils peuvent ne pas être éligibles. Peut-être que ces mesures vont suivre, je n’en sais rien. Mais, il aurait été de mon point de vue plus juste qu’on actionne sur la base de ces instruments internationaux.
D’autre part, je suis un peu gêné parce qu’on dit que les partis politiques conformément à l’article 13 de la Constitution se créent librement, mais ils mènent leurs activités conformément à la loi. Je crois que les arrêtés qui ont été pris reprochent à ces partis politiques de mener après l’insurrection un certain nombre d’activités qui seraient contraires à la vision de la transition et que ça pourrait créer un trouble à l’ordre public. Je pense que si les arrêtés avaient été motivés dans ce sens-là, on peut certainement soutenir l’argumentaire qui est que les partis politiques qui ont travaillé pour que l’article 37 soit modifié et qui ont plongé de façon consciente, je dis vraiment de façon consciente, notre pays dans cette grave crise qui a débouché sur une insurrection, ces partis-là doivent en assumer l’entièreté de leur responsabilité.

« On aurait pu prendre ces décisions plutôt »

Mais, je crois qu’on aurait pu prendre ces décisions très tôt. Au moment où nous menions le débat, on nous avait plutôt opposé les principes de l’inclusion, de la tolérance, du pardon, si fait qu’on a vu par exemple, à la signature de la charte, quelqu’un comme Paramanga Yonli venir allègrement s’asseoir. Il a fallu ce tollé de la part des militants pour qu’en catimini il puisse se retirer. On a vu tout dernièrement, à l’organisation du 11 décembre, un peu partout des dignitaires aller se pavaner sur des tribunes officielles. Et, en définitive, ç’a heurté la conscience.
Mais, je suis surpris et en même temps gêné parce que ces décisions ont plutôt donné l’impression de quelque chose de hâtif et d’improvisé alors que ce sont des mesures qui auraient dû être prises dès le lendemain de l’insurrection parce qu’effectivement la responsabilité de ces partis est établie. Ces partis politiques et leurs dirigeants ont ramé à contre-courant des valeurs de la démocratie. 
Ce que les juristes reprochent à ces arrêtés, c’est que conformément à l’article 30 de la charte, il aurait fallu, dans la suspension, impartir un délai qui de toutes les façons n’excèdent pas trois mois. Il aurait fallu aussi motiver les arrêtés. Mais, je crois que d’une manière générale, aujourd’hui, ce qui est fondamental, c’est qu’il ne faudrait pas verser dans des pratiques d’un Etat d’exception parce que l’objectif de la charte de transition était de permettre au Burkina Faso de renouer avec l’Etat de droit sur la base d’une constitution qui a été complétée par une charte et qui a permis la remise en selle de l’ensemble des institutions qui fonctionnent. Voilà pourquoi d’ailleurs, vous avez pris connaissance de la note gouvernementale qui dit qu’il y a le tribunal administratif pour apprécier, si d’aventure, les partis politiques qui se sentent victimes pensent que c’est de leur droit de se pourvoir en justice, ils pourraient utiliser cette voie.

D’autre part, je pense qu’aujourd’hui, il va falloir qu’on tienne compte des principes cardinaux de la démocratie. La démocratie suppose une majorité et une opposition et que l’équilibre des forces doit être un principe qui permet la dynamique de la vie d’un Etat démocratique. S’il n’y a pas ça, on risque d’être dans une espèce de diktat et cela ne serait vraiment pas à l’honneur de la transition.
Enfin, je crois qu’il faut éviter une situation d’un Etat d’exception certes, mais la transition doit avoir l’autorité nécessaire pour établir un ordre révolutionnaire qui est conforme aux aspirations de l’insurrection. C’est à ce prix-là qu’on peut dessiner les sillons, les fondements de cette nouvelle ère que tous les burkinabè réclament à cor et à cri. Mais, comment y arriver ? On dit qu’on ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs. Sauf les œufs de l’UNIR-PS qui sont incassables (rires !).

« Tous ceux qui étaient dans le Front républicain sont, au même titre, responsables que le CDP et l’ADF/RDA »

Mais, le sentiment d’injustice pour le CDP et l’ADF/RDA vient aussi du fait que ce ne sont pas les seuls partis. Je lis dans la presse aujourd’hui que l’UNDD est en train de se pavaner, alors qu’il est aussi comptable que le CDP et l’ADF/RDA et bien d’autres. Tous ceux qui étaient dans le Front républicain sont, au même titre, comptables que ces deux partis. Donc, cette justice à la puriste pose problème dans les décisions du MATDS. Je pense que le gouvernement va mieux communiquer et on sera mieux situé. Mais de mon point de vue, la charte de la transition a prévu la commission de réconciliation nationale, vérité et justice. Le décret a été pris, mais je pense qu’on traine beaucoup là-dessus. Cette commission, c’est la cheville ouvrière qui va nous permettre de régler tous ces problèmes mais en tenant compte de notre propre destinée.

Je précise, la transition a prévu un certain nombre de valeurs qui ont été codifiées. Je vais par exemple citer l’article 1 qui a prévu des valeurs de référence que sont le pardon et la réconciliation, l’inclusion, le sens de la responsabilité, la tolérance et le dialogue, la discipline et le civisme, la solidarité et la fraternité, l’esprit de consensus et de discernement. Ce sont des valeurs qui s’ajoutent aux valeurs qui sont déjà dans la constitution. Maintenant, des mécanismes de gouvernance pour traduire toutes ces valeurs en réalité. C’est la seule façon pour les burkinabè de cheminer ensemble.
Je crois savoir que le Front républicain n’a pas ce que les juristes appellent la personnalité juridique. Peut-être, mais je ne crois pas. Si tel était le cas, il était plus facile de sanctionner le Front républicain. Là, vous avez l’ensemble des partis politiques qui se sont retrouvés dans ce front pour scier la démocratie. Mais, si on doit prendre individuellement les partis politiques, de mon point de vue, sanctionner seulement l’ADF/RDA et le CDP serait une injustice parce que les autres partis politiques aussi qui étaient dans le Front républicain ont contribué à créer cette situation même si in fine, on peut dire que c’est le CDP et l’ADF/RDA qui étaient la locomotive. Même quand vous prenez les partis qui avaient des députés à l’Assemblée nationale, il y a bien sûr l’UPR qui avait aussi des députés à l’Assemblée nationale.

Tahirou Barry, président du PAREN : Sans connaître les véritables raisons de ces mesures de suspensions, je fais simplement observer qu’elles abrègeront les derniers soubresauts de sinistres organisations qui ont trahi le peuple et précipité notre pays dans les abîmes de la violence. Dès lors, elles sont disqualifiées pour animer la scène politique nationale et servir de repères aux générations actuelles et montantes. Je ne parle même pas de la FEDA/BC, ce conglomérat de courtisans gloutons qui faisaient du faux et de l’intox politique sous la forme d’une association. A ce titre, on peut comprendre l’arrêté comme une mesure préventive pour éviter que les acteurs de ces structures au sortir de leurs cauchemars ne s’autorisent d’autres dérives graves susceptibles de compromettre l’avenir de la transition.

Sur le plan juridique, ces organisations se sont écartées de leurs obligations prescrites à l’article 30 de la charte des partis et formations politique qui leur imposent, à travers leurs actions et programmes, la protection de la forme républicaine de l’Etat. Or modifier l’article 37 n’allait faire que tuer la république pour la monarchie. En outre, elles sont à la lumière de l’article 166 de la constitution, coupables de crime à l’encontre du peuple pour avoir voulu porter atteinte à la constitution. D’ailleurs, étant pleinement responsables de la violence que nous avons connue, elles méritent grandement cette sanction et ce conformément à l’article 4 de la charte qui proscrit l’incitation à la violence.
Je pense que le ministre de l’administration territoriale, au vu de toutes ces forfaitures, aurait eu donc tort d’ignorer cette grosse réalité.

Moussa Diallo
Fulbert Paré
Lefaso.net



17/12/2014
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