Deuxième catéchèse du Cardinal Philippe : le dialogue inter religieux au cœur des débats.
Introduction
« L’Initiative Africaine d’Education à la paix et au développement par le dialogue interreligieux et interculturel », tel est le thème du Symposium International providentiel proposé par le Centre Panafricain de Prospective sociale (CPPS) et adopté par le gouvernement du Bénin (juillet 2014), l’Assemblée Générale des Nations Unies (15 décembre 2015) et les chefs d’Etat de l’Union Africaine (janvier 2015), et auquel j’ai été prendre part en tant qu’invité.
Les foyers de tension et de violence qui entraînent de nombreux décès et causent des souffrances inhumaines en Afrique et dans le monde justifient pleinement la pertinence et la nécessité d’un tel Symposium International relatif à la tolérance et au dialogue au service de la paix.
Le dialogue interreligieux qui a fait l’objet de mon exposé que j’aimerais partager avec vous ce soir, n’est pas en rapport direct avec la violence. En effet, bien qu’il n’occulte pas le fait de la violence, il ne se réduit pas à la gestion des conflits ou de la violence. Il se veut plutôt un dialogue au service de la paix. Celui qui s’engage dans ce dialogue doit être animé d’une triple conviction selon laquelle :
il n’y a pas de paix entre les nations sans paix entre les religions ;
il n’y a pas de paix entre les religions sans dialogue interreligieux ;
la paix s’obtient plus efficacement et plus durablement par le dialogue que par la force ou la dissuasion militaire.
Le dialogue au service de la paix est en effet le meilleur moyen de prévenir et de résoudre les conflits sans qu’il soit nécessaire de recourir à la violence. L’expérience du dialogue interreligieux dont nous voulons témoigner ici est essentiellement celle d’un dialogue de la vie qui revêt trois formes : le dialogue comme hospitalité réciproque, le dialogue de la solidarité agissante et l’engagement commun au service de la paix. Ce sont ces trois formes que nous allons présenter dans ce propos, en nous inspirant de l’expérience du dialogue interreligieux au Burkina Faso.
Le dialogue comme hospitalité réciproque
Ce type de dialogue se fonde sur la conviction suivante : pour comprendre l’autre, il ne faut pas chercher à le posséder, il faut plutôt se faire son hôte. Dans la démarche, cela consiste essentiellement à faire le premier pas vers l’autre :
Le premier pas dans la prière : c’est le lieu par excellence d’accueil de l’autre. Il faut, dans son cœur, faire de la place à Dieu et à l’autre, en se vidant de soi-même. La prière permet de nous désarmer de toutes formes de préjugés et de violence.
Dans cette perspective, la prière des représentants des différentes religions à Assise, initiée par le Pape Jean-Paul II en 1987 et prolongée chaque année par la communauté Sant’ Egidio constitue un bel exemple et une véritable source d’inspiration pour nos sociétés.
L’expérience du Burkina Faso : les leaders religieux - musulmans, protestants, catholiques, chefs traditionnels- ont initié depuis quelques années des visites réciproques, notamment à l’occasion des événements heureux ou malheureux (Ramadan, Tabaski, Noël, Pâques, Nouvel an, décès, mariages…). Ce sont des témoignages de fraternité et de solidarité qui font naître un climat de partage et d’estime réciproque et favorisent la collaboration en vue de la promotion du dialogue et de la paix sociale.
Faire le premier pas en rendant visite aux frères des autres religions : à distance, nous voyons l’autre comme dans un miroir déformant. Quand je fais le pas vers l’autre, je le découvre dans sa vérité et je lui donne ainsi l’occasion de me découvrir dans ma vérité. C’est ce qu’affirmait un apologue tibétain : « De loin, je crus voir un animal. Il s’approcha et je compris que c’était un homme. Il s’approcha encore, et je m’aperçus que c’était un frère. » L’hospitalité réciproque me permet de découvrir que l’autre, en dépit des différences de cultures, de religions, est un frère qui m’enrichit précisément par ses différences.
Pour engager le dialogue de la vie qui a lieu grâce à l’hospitalité réciproque, il faut surmonter les obstacles qui sont essentiellement de trois ordres :
Les obstacles liés à mes limites, à mes faiblesses, à mes réticences et à mes préjugés ;
Les obstacles liés aux limites, à l’indifférence, à l’hostilité et aux préjugés d’autrui ;
les obstacles liés au contexte historique, géographique, politique et religieux.
Il faut avoir la patience de surmonter les obstacles tels la crispation identitaire ou la radicalisation des différences qui ne doivent pas être des murs mais des ponts à jeter pour favoriser la rencontre dans un dialogue fécond et respectueux des convictions de chacun.
Le dialogue de la solidarité agissante
Pour être fécond, le dialogue doit prendre en compte les différences et se fonder sur un socle commun qui est celui de notre commune humanité dont les caractéristiques fondamentales constituent la condition humaine :
Tous sont unis et solidaires dans la condition humaine : blanc ou noir, homme ou femme, chrétien ou musulman, croyant ou athée, riche ou pauvre… Il s’agit d’une unité transculturelle et transreligieuse universelle.
La nécessité pour tous d’avoir conscience d’être des êtres vulnérables à la souffrance et à la violence.
Tous doivent avoir la conviction qu’on ne peut être heureux sans travailler au bonheur de chacun et de tous. Par exemple, œuvrer à la justice pour tous, à l’éducation, à la santé et à la nourriture pour tous…
Ensemble, tous doivent s’engager pour promouvoir la dignité de tout être humain en lui permettant de jouir de tous les droits fondamentaux.
Le devoir de solidarité et d’assistance doit s’exercer au bénéfice de tous, notamment les plus pauvres, les marginalisés, les laissés-pour-compte… Il nous faut inventer des voies et moyens pour la paix et le développement intégral de chaque personne humaine. C’est ainsi qu’à partir d’une expérience dramatique de sécheresse et de famine qui a sévi de façon particulière dans le sahel burkinabè en 1969, une association interconfessionnelle dénommée Union Fraternelle des Croyants de Dori (UFC-Dori) est née sous l’impulsion d’un missionnaire catholique, le Père Lucien BIDAUD. Elle est devenue un lieu exemplaire de dialogue entre musulmans et chrétiens appelés à se mobiliser ensemble pour relever les nombreux défis du développement et de la paix.
L’engagement commun au service de la Paix.
Pour les croyants, la paix est un don de Dieu et aussi le fruit des efforts des hommes. Et comme l’enseigne la sagesse populaire de la savane africaine, « à la palabre de la famille, est convié tout membre de la famille. Au travail de famille, doit s’impliquer tout membre de la famille. » C’est dire la nécessité de promouvoir une coopération et une synergie entre tous les protagonistes de la vie sociale :
Pour promouvoir la réconciliation, la moralisation de la vie politique, la justice et la paix, les leaders religieux et coutumiers peuvent être associés pour ce service de la nation.
Des messages de paix et des initiatives de médiations lors de certaines circonstances peuvent être initiés par les leaders religieux et coutumiers.
Une collaboration effective et franche des communautés religieuses avec l’état dans la promotion du bien commun est à encourager.
Au Burkina Faso par exemple, l’Observatoire National des Faits Religieux (ONAFAR) et le Médiateur du Faso sont des institutions providentielles au service de la paix sociale. Il faut reconnaitre cependant que la définition de la place et du rôle des religions dans l’espace public n’est pas aisée ; il en est de même pour l’ambiguïté de la relation entre le politique et le religieux. La volonté d’instrumentalisation peut se vérifier en effet, de part et d’autre. Il faudrait constamment éviter les écueils et favoriser la collaboration fructueuse au service du bien commun dans le respect de la juste autonomie de chaque entité.
Dans l’optique de promouvoir la paix et le développement pour tous, les leaders religieux et les responsables politiques doivent être attentifs à des domaines très sensibles.
Face aux différences et barrières de toutes sortes, il faut ensemble jeter des ponts par-delà les frontières et favoriser la vie fraternelle. Des relations plus étroites et plus pacifiques doivent être établies entre population de cultures et de religions différentes.
Pour y parvenir, il nous faut travailler à la formation des consciences dans la famille et à l’école et éduquer les enfants et les jeunes à la paix, à la justice et au respect réciproque.
La famille est toujours le lieu naturel et la plus apte à sauvegarder les valeurs fondamentales de la langue maternelle, de l’éducation morale, des croyances religieuses, du sens de la responsabilité et de la fraternité. De même, l’école doit jouer son rôle de lieu de socialisation et de responsabilisation, de la connaissance et du respect de l’autre différent de soi.
Le dialogue interreligieux ne saurait éluder le dialogue théologico-doctrinal même s’il ne doit pas être la première forme de dialogue dans laquelle les croyants s’engagent. Il est nécessaire que la recherche de la vérité ne soit pas absente du dialogue interreligieux : valeurs communes, mariage mixte ou mariage avec disparité de culte…Les religions peuvent être au service de l’amour véritable, du mariage et de la famille, avenir de l’humanité.
Conclusion
Dans un contexte régional et international qui connait une multiplication inquiétante des conflits et des guerres ou violences à motivation religieuse, le dialogue interreligieux est la voie royale pour instaurer dans nos sociétés une culture de la paix. La promotion de cette culture de la paix par le dialogue est un travail de longue haleine, car il n’y a pas de paix à bon marché. Le dialogue interreligieux doit être compris, non comme un dialogue entre les religions mais un dialogue entre les croyants des différentes religions. Il est donc essentiellement un dialogue entre des personnes concrètes qui ont des crédos, des convictions religieuses, des conceptions du monde et des pratiques religieuses différentes.
Ensemble, tous sont appelés à construire « une civilisation de l’amour » selon une belle expression du Pape Jean Paul II. Il faut œuvrer pour une civilisation de l’amour où l’homme devient toujours plus humain et où les valeurs du vrai, du beau, du bien, de la justice, de l’équité… constituent l’humus nourricier du développement intégral, personnel et communautaire.
Seul l’amour est capable de transformer de façon radicale les rapports que les êtres humains entretiennent entre eux. « L’amour est la forme la plus haute et la plus noble des relations des êtres humains entre eux ». Seule une humanité dans laquelle l’amour vaincra sera en mesure de jouir d’une paix authentique et durable.
Je vous remercie !
Philippe Cardinal OUEDRAOGO
Archevêque Métropolitain de Ouagadougou
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