Région du Centre-Nord

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Les obstacles à la scolarisation des filles au Burkina Faso

L’éducation est perçue comme étant l’élément moteur du développement humain durable. Elle s’entend comme étant l’ensemble des activités visant à développer chez l’être humain l’ensemble de ses potentialités physiques, intellectuelles, morales, spirituelles, psychologiques et sociales, en vue d’assurer sa socialisation, son autonomie, son épanouissement et sa participation au développement économique, social et culturel (Assemblée nationale du Burkina Faso, 2007). Tout le monde s’accorde pratiquement à reconnaître sa prééminence dans l’accroissement du bien-être des populations. En effet, l’accès à l’éducation contribue au développement des compétences, mais également à l’épanouissement individuel et collectif ainsi qu’à la résorption des inégalités.

Cette perspective explique la place centrale qu’occupe l’éducation aussi bien auprès des pouvoirs publics que des citoyens dans leur ensemble. Au Burkina Faso, la Loi N°13-2007/AN du 30 juillet 2007 portant loi d’orientation de l’éducation précise que : « l’éducation est une priorité nationale. Toute personne vivant au Burkina Faso a droit à l’éducation, sans discrimination aucune, notamment celle fondée sur le sexe, l’origine sociale, la race, la religion, les opinions politiques, la nationalité ou l’état de santé. Ce droit s’exerce sur la base de l’équité et de l’égalité des chances entre tous les citoyens » (Assemblée nationale du Burkina Faso, 2007 :5).

Toutefois, en dépit de ces dispositions législatives, de la mise en œuvre de plans, programmes et projets de développement de l’éducation de base (projet écoles satellites, écoles bilingues, projets enseignement post-primaire, plan décennal de développement de l’éducation de base, programme de développement stratégique de l’éducation de base) et d’innovations éducatives (classes multigrades, classes à double-flux, etc.), et des efforts déployés par l’Etat et ses partenaires, l’accès à l’éducation de base formelle demeure faible et inégal au Burkina Faso. 
Quelle est la situation des inégalités de scolarisation dans l’enseignement ? Quels sont les obstacles entravant la scolarisation des filles ? Comment peut-on résorber la situation de blocage de la scolarisation des filles ?

L’objectif de notre écrit est d’appréhender d’une part les divers obstacles freinant la scolarisation des jeunes filles, et d’autre part d’entrevoir un certain nombre de mesures à même d’améliorer la situation.

1. La situation des inégalités de scolarisation au primaire et au post-primaire

A la rentrée scolaire 2013-2014, sur une population scolarisable estimée à 3 125 631 enfants, seulement 2 013 678 enfants d’âge scolaire allaient à l’école primaire, soit un taux net de scolarisation (TNS) de 64,4% (64,7% pour les garçons et 64,2% pour les filles). Au cours de la même année scolaire, dans l’enseignement post-primaire, le TNS n’était que de 23,8%, 21,9% et 22,9% respectivement pour les garçons, les filles et l’ensemble des deux sexes. Le taux net se définit comme étant le rapport entre l’effectif des élèves à un niveau d’enseignement (préscolaire, primaire, post-primaire, secondaire, supérieur), ayant l’âge officiel de scolarisation à ce niveau et la population totale d’âge officiel de scolarisation à ce niveau. 
Malgré leur réduction, les inégalités relatives à la scolarisation entre garçons et filles, persistent.

En effet, comme le montre le tableau ci-après, les écarts en points de pourcentage vont décroissants : dans l’enseignement primaire, l’écart est passé de 13,1 points en 2000-2001 à 0,5 en 2013-2014, tandis que dans l’enseignement post-primaire, de 4,3 points en 2003-2004, il n’est que de 1,9 points en 2013-2014.

Or l’objectif de l’enseignement primaire universel à l’horizon 2021 au Burkina Faso commande qu’une attention particulière soit portée aux questions de disparités, notamment aux obstacles à la scolarisation des filles qui sont à l’origine de telles disparités.

2. Les raisons de la sous-scolarisation des filles

Les raisons de la sous-scolarisation des filles peuvent être classées en quatre grandes catégories : les raisons historiques, politiques et structurelles, les raisons économiques, le poids de la tradition, les causes liées au système scolaire.

2.1 Les raisons historiques, politiques et structurelles

Il faut d’abord reconnaître que l’histoire de l’enseignement de type moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui au Burkina Faso, s’inscrit dans celle d’un grand ensemble géographique qui correspondait à peu près à l’Afrique de l’Ouest Francophone (AOF). En effet, après la conquête et la pacification du territoire qui sera connu plus tard sous le nom de Haute-Volta et ensuite Burkina Faso, les premières institutions scolaires furent mises en place vers 1900. Mais à l’époque, tous les enfants ne pouvaient pas avoir accès à cette école coloniale, en raison au fait que l’instruction, comme l’affirmait le Gouverneur Général ROUM, était considérée comme « une chose précieuse qu’on ne distribue qu’à bon escient et limitons-en les bienfaits à des bénéficiaires qualifiés. Choisissons nos élèves tout d’abord parmi les fils des chefs et des notables, la société indigène est très hiérarchisée… » (MOUMOUNI, 1998 :56). Les élèves étaient donc essentiellement les fils de chefs, de notables, des fonctionnaires de l’administration coloniale, d’anciens combattants. En fait, le développement de l’enseignement s’est fait pour satisfaire les besoins de main d’œuvre qualifiée du colonisateur. La situation d’inégalités entre filles et garçons était déjà créée, installée depuis la colonisation et s’est perpétuée après les indépendances politiques de 1960.

Même malgré les revendications démocratiques et l’adoption du Décret 289 bis/PRES/EN du 3 août 1965 portant réorganisation de l’Enseignement du Premier Degré, l’avance historique des garçons était maintenue. Il en est de même avec l’adoption des lois d’orientation de l’éducation (Loi n°013-96/ADP du 09 mai 1996 et Loi n°013-2007/AN du 30 juillet 2007). Bien que l’enseignement de base public soit gratuit et les enseignements primaire et post-primaire obligatoires, les inégalités sont toujours en faveur des garçons.

En plus de ces raisons, des facteurs structurels existent. En effet, l’Etat ne dispose pas de ressources nécessaires pour concrétiser cette volonté politique de scolariser tous les enfants d’âge scolaire, pour faire exercer le droit réel et appliquer cette gratuité théorique afin d’absorber tous les enfants d’âge scolaire. En témoigne, le déficit en personnel enseignant et en infrastructures pour accueillir à la rentrée d’octobre 2014, les nouveaux admis au certificat d’études primaires dans le cycle d’enseignement post-primaire. 
Malgré la réduction des écarts, le retard de scolarisation accusé par les filles n’a fait que se maintenir.

2.2 Les facteurs économiques

Les facteurs économiques sont liés au faible niveau de revenu des familles, à la cherté de la scolarité, à l’absence de lien entre la scolarisation et l’accès à un emploi rémunérateur.

 La pauvreté des ménages

La pauvreté s’explique par le faible niveau du produit intérieur brut (PIB). Au Burkina Faso, le PIB par habitant est évalué à environ 335 812 F CFA par habitant en 2012 avec un indice de pauvreté assez élevé (http://www,insd,bf/fr/, consulté en ligne le 12/12/2014). En 2010, la proportion de ménages pauvres représentait 43,9% de la population, vivant en dessous du seuil de pauvreté qui était de 108 454 F CFA (INSD, 2010). C’est dire que l’indigence de nombreux parents et les dépenses liées à la scolarité des enfants expliquent dans une certaine mesure la non scolarisation et/ou la déscolarisation des filles dans de nombreuses familles. De toute évidence, l’inscription des enfants à l’école induit des dépenses pour de nombreux ménages pauvres. Il s’agit entre autres, de l’achat de compléments de fournitures scolaires, des livres, du paiement des cotisations des parents d’élèves ainsi que des frais liés au fonctionnement de la cantine scolaire. Ce coût de l’école peut contraindre certains ménages à un choix qui favorise les garçons, En outre, les jeunes filles constituent des aides familiales précieuses pour les travaux domestiques (puiser l’eau, faire la vaisselle, faire la cuisine, balayer la maison, s’occuper des petits enfants), les petits commerces générateurs de revenus. Il n’est pas rare d’entendre certains enseignants affirmer que : "La jeune fille est une aide familiale précieuse et que la pauvreté amènent les parents (surtout en milieu rural) à inscrire de préférence les garçons qui perpétuent la famille",

L’absence de lien entre la scolarisation et l’accès à un emploi rémunérateur

Beaucoup de parents se désintéressent de la scolarisation de leurs enfants parce que celle-ci n’est pas une garantie pour l’obtention d’un emploi. En effet, pendant longtemps, l’école a été perçue comme un facteur de promotion sociale et économique permettant d’exercer des métiers modernes, d’avoir un revenu régulier et de soutenir la famille (YAMEOGO, 2004). Le constat du chômage actuel des diplômés démotive les parents et influe négativement sur la scolarisation des filles.

2.3 Le poids de la tradition

Les pesanteurs socioculturelles sont toujours vivaces notamment en milieu rural. La tradition et certaines mentalités placent toujours la femme au second rang : les filles doivent être au foyer et la tradition veut que la fille soit initiée très tôt à son rôle de ménagère. Pour certains, "la femme devrait rester à la maison, s’occuper du ménage et procréer".

Cette tradition explique toujours la priorité donnée aux garçons qui sont héritiers au détriment des filles, lesquelles sont appelées à quitter la cour familiale. 
Il faut également relever que dans les familles traditionnelles, les filles constituent une source de maintien des alliances. Elles sont promises en mariage dès leur tendre enfance voire dès la conception. Des liens sont tissés entre familles avant même que la jeune fille n’ait atteint l’âge de la maturité. Ces alliances sont le corollaire des mariages précoces et forcés. Scolariser les filles reviendrait alors à compromettre la position familiale.

2.4 Les facteurs liés au système scolaire

Des facteurs pédagogiques constituent également des entraves à la scolarisation des filles, comme l’existence de stéréotypes sexistes, l’éloignement des écoles du domicile des enfants, l’inadaptation du système éducatif. 
De manière consciente ou inconsciente, les enseignants véhiculent des préjugés sur le genre. Dans leurs relations avec les élèves, ils n’adoptent pas la même attitude vis-à-vis des garçons et des filles. Cette façon de procéder découragent les filles ou freinent leurs performances. 
Il convient également de ne pas occulter le contenu de certains manuels qui donne une image négative des femmes et des filles, ou qui prône la supériorité de l’homme : généralement, dans les contes issus des livres de lecture ou d’histoire, les héros sont des hommes ; 
Par ailleurs, l’éloignement des écoles est démotivant et fatigant pour les enfants et constitue une source d’insécurité notamment pour les filles.

Pour ce qui est du contenu de l’enseignement, il est peu intégré à la réalité sociale et culturelle du milieu rural dans lequel vit la majorité des élèves. La liaison entre éducation et production est toujours trop faible, voire inexistante, l’accent étant surtout mis sur les disciplines littéraires. Cet enseignement trop livresque, sans lien avec des applications dans le milieu ou dans la vie quotidienne de l’enfant, est peu attractif pour certains parents d’élèves, hésitants à scolariser leurs enfants.
On relève d’autres facteurs de discrimination scolaire des filles comme les grossesses et les maternités des filles scolarisées, la religion.

Face à de telles inégalités, il convient d’adopter des mesures plus durables, cohérentes et d’une efficacité avérée.

3. Quelques moyens d’amélioration de la scolarisation des filles

Ces mesures vont de l’amélioration de la carte scolaire à la suppression du mariage forcé, en passant par la formation des enseignants, l’incitation des femmes à l’enseignement, la mise en œuvre de l’approche "école amie des filles".

La carte scolaire demande à être améliorée. La garantie du plein épanouissement des élèves (des jeunes filles notamment) et des enseignants passe par l’effectivité de la construction d’infrastructures scolaires telles que les latrines séparées (pour garçons, pour filles, pour enseignants/enseignantes), les logements d’enseignants/enseigantes ainsi que les forages pour l’alimentation en eau potable.

La formation des enseignants doit prendre en compte la problématique du genre afin de les aider à être des acteurs efficaces dans la lutte contre cette forme de disparité. 
Il est aussi important d’inciter les femmes à l’enseignement car elles pourraient jouer un rôle de régulation, de sécurisation pour les filles et les parents d’élèves.

La mise en oeuvre de l’approche " Ecole Amie des Filles" peut créer un environnement favorable à l’accueil, au maintien et à la réussite scolaire des filles. C’est une approche qui prend en compte les différences entre les sexes, inclut les familles et les communautés dans l’action éducative.

Les manuels scolaires devraient être réexaminés, de sorte à identifier et éliminer les différents stéréotypes sexistes.
La mise en œuvre effective de l’obligation et de la gratuité scolaire avec tout ce qu’elles comportent devra être effective.

Pour encourager fortement la scolarisation des filles, il convient de développer des programmes d’alimentation scolaire, car mieux nourries, les filles apprendront mieux et resteront plus longtemps à l’école. Ne dit-on pas que "ventre vide n’a point d’oreille" ?
La participation communautaire est à dynamiser. La forte implication constitue un facteur déterminant dans l’accueil des enfants, leur fréquentation et leur réussite scolaire. Ainsi, une attention particulière devrait être portée à la dynamisation des Associations des Mères Educatrices (AME) afin qu’elles assurent un suivi efficace de la fréquentation scolaire des filles.

Enfin, il convient de relever que le mariage forcé constitue un grand frein à la scolarisation des filles. C’est une pratique néfaste qui ne permet pas le plein épanouissement des jeunes filles, contraintes de rester à la maison ou d’abandonner l’école parce qu’ayant été promises en mariage dès leur tendre enfance. Il est alors souhaitable qu’une mesure législative émanant de l’Assemblée Nationale, abolisse purement et simplement le mariage forcé.

Dr KABORE Sibiri Luc

Attaché de recherche, à l’Institut des Sciences des Sociétés (I.N.S.S.) du

Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou
Adresse électronique : lucsikab@yahoo.fr ; Téléphone : (00226) 70261977

 

Bibliographie

Burkina Faso, Assemblée Nationale (2007), Loi N°013-2007/AN du 30 juillet 2007 portant loi d’orientation de l’éducation, Ouagadougou, Assemblée Nationale, 23 p.

Burkina Faso, Ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation, Annuaires statistiques de l’éducation nationale de 2011-2011 à 2013-2014, Ouagadougou, DGESS/MENA.

Burkina Faso, Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation, Recueil d’indicateurs actualisés de l’éducation de base de 1997-1998 à 2008-2009, Ouagadougou, DEP/MEBA, 165 p.

Burkina Faso, Ministère des enseignements secondaire et supérieur, Annuaires statistiques des enseignements post-primaire et secondaire de 2011-2011 à 2013-2014, Ouagadougou, DGESS/MESS.

Burkina Faso, Ministère des enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique, Annuaires statistiques de l’enseignement secondaire de 2000-2001 à 2009-2010, Ouagadougou, DEP/MESSRS p.

Burkina Faso, Assemblée des Députés du Peuple (1996), Loi N°013-96/ADP du 09 mai 1996 portant loi d’orientation de l’éducation, Ouagadougou, Assemblée des Députés du Peuple, 16 p.

Haute-Volta, Présidence de la République (1965), Décret N°289 BIS/PRES/EN du 3 août 1965 portant réorganisation de l’enseignement du Premier Degré, Ouagadougou, Présidence de la République, 12 p.

INSD (2010), Analyse de quelques résultats des données de la phase principale de l’enquête intégrale sur les conditions de vie des ménages, EICVM 2009, Ouagadougou, Ministère de l’économie et des finances, 13 p.

INSD, PIB par habitant, http://www,insd,bf/fr/, consulté en ligne le 12/12/2014.

KABORE, S. L. (2006), L’élimination des disparités entre sexes dans l’enseignement primaire à l’horizon 2015 au Burkina Faso, Paris, IIPE-UNESCO, 105 p.

MOUMOUNI, A., (1998), L’éducation en Afrique, Paris, Présence Africaine, 327 p.

YAMEOGO, A. (2004), Actions menées par la DPEF en faveur de l’éducation des filles,http://www.meba.gov.bf/plans/educationff.html, consulté en ligne le 18/10/2005.



16/01/2015
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