VILLAGE DE RONGUIN: “L’or ou la mort, nous vaincrons !”
Ils disent ne plus supporter la misère de leur parent. Des jeunes burkinabè abandonnant parents, parfois femmes et enfants se déplacent de site d’orpaillage en site d’orpaillage dans l’espoir d’un lendemain meilleur. A Ronguin (village situé à 5 km de Kongoussi dans la province du Bam), des jeunes ont déposé leur baluchon. Ils attendent, au prix d’énormes sacrifices, le jour où enfin, la fortune leur sourira !
Site d’orpaillage de Ronguin à 5 km de Kongoussi dans le Bam. Il est 12 h 30 mn. Le soleil au zénith, flirte avec les cuirs chevelures. La température à l’ombre frôle les 40°. Mais ici, point de repos. L’on est venu pour faire fortune. Le bruit assourdissant des machines servant à concasser le minerai ne semble déranger personne. Le site est étalé sur environ 2 ha. Dès l’entrée, on rencontre les hangars des restauratrices. De grosses marmites alignées un peu partout témoignent d’un marché florissant. “Bonjour madame !” C’est par les salutations d’usage que nous tentons d’avoir une conversation avec une dame d’une cinquantaine d’années. Plutôt préoccupée par ses marmites, elle nous jette à la figure notre aliénation linguistique sans avoir manqué de nous regarder de la tête au pied. « Bonjour ka be kayee. fo ka gomda moore laa ? ». Comprenant qu’elle voulait que je m’exprime dans l’une des langues de la localité, je tente le dioula. Cette fois, c’était la bonne. Avec un large sourire, elle me montre une chaise tout en me demandant : « Nde-mousso I be muu né fèe » (Ma fille que puis-je pour toi ?) .Le contact noué, c’est elle en réalité qui nous présente le site en guise d’introduction. A gauche à quelque 100 m, il y a ceux qui creusent le minerai. Généralement, ils sont repartis en trois groupes et travaillent comme de véritables ouvriers d’usine. Le premier groupe pénètre dans le trou à 21h pour en ressortir à 6h du matin. Le second groupe le remplace de 6h à 13h, heure à laquelle, le troisième groupe prend la relève jusqu’à 21h.La préparation des repas tiens compte de ces horaires, affirme notre interlocutrice devenu « ma maman ». Elle s’appelle Aminata Traoré. Elle est veuve depuis plus de 10 ans et vie avec ses enfants à Ouagadougou. Elle est à son deuxième site d’orpaillage après un bref passage à Tikaré. Après une petite parenthèse sur sa vie privée, elle continue la description des lieux. Juste derrière les hangars des restauratrices et autres vendeurs, du côté ouest, sont installés les autres orpailleurs, ceux qui ne descendent pas dans les trous et qui attendent le minerai, soit pour concasser à la main, soit pour le broyage à la machine ou encore pour le lavage. A côté d’eux, il y a le comptoir, là où s’achète et se vend l’or. Et plus loin, vers la limite du site, il y a les « toutous », nous dit-elle, parlant des travailleuses du sexe.
Sortis de la farine
Laissant notre « maman » à ses casseroles, nous continuons notre visite. Au passage, nous rencontrons des jeunes qui viennent sans doute de quitter les trous. Tout blanc comme des rats sortis de la farine, ils s’empressent pour aller faire le plein d’énergie après 8 heures passées à creuser.
Tout de suite, une fillette d’à peine 10 ans, tenant un bidon à la main, retient notre attention. Elle venait de vendre l’eau et s’apprêtait à rejoindre le village. « C’est ma maman qui m’a envoyée pour vendre l’eau. Elle a mal au pied et ne peut pas venir », nous déclare-t-elle, un peu gênée. “Pourquoi tu n’es pas à l’école ?” Avons-nous demandé. « Aujourd’hui c’est jeudi, il n y a pas classe », rétorque la jeune fille qui répond au nom de Zalissa. Etait-ce vraiment cette raison qui expliquait la présence de plusieurs enfants sur le site ? Difficile de le dire en tout cas. Mais c’était effrayant de voir tous ces adolescents travaillant comme des forcenés.
Plus loin nous rencontrons Kadi Pibaoré, une jeune fille de 14 ans. A l’inverse de Zalissa, elle n’a jamais connu la joie d’aller à l’école. Assise avec sa maman et d’autres femmes des villages environnants, sous un hangar qui ne l’était plus que de nom, puisse qu’il ne mettait plus à l’abri du soleil, elle concassait à l’aide d’un marteau spécialement conçu à cet effet, le minerai. 1500FCFA par sac de 50kg de minerai concassé, c’est la récompense qui les attend en fin de journée, informe un jeune qui, apparemment était le propriétaire des lieux. Presque chacune des femmes portait un bébé. Les enfants qui savaient se déplacer seuls, faufilaient entre les cailloux, respirant la poussière sous le regard indiffèrent de leur génitrice. Un nourrisson d’environ 6 mois, coincé entre les bras de sa mère, devait se contenter de sucer le sein qu’on lui tendait dans la poussière, le bruit et souvent les fragments de roche qui voltigeaient par moment.
A côté de ces femmes, un autre hangar abritait des jeunes garçons dont l’âge varie de 10 à 17 ans. Le jeune Etienne Gouba,16 ans, le plus âgé d’entre eux vient de Zabré dans la région du Centre-Est. Orphelin de père, il a laissé sa mère au village avec ses trois petits frères pour venir faire fortune à Ronguin comme il l’explique lui-même : « Avant je vendais de l’eau glacée à Tenkodogo chez une femme. Mais ça ne marchait plus et donc je n’arrivais plus à aider ma mère à subvenir aux besoins de la famille. Des jeunes de mon village m’ont informé de leur intention de venir chercher l’or vers Kaya. Alors je les ai suivis avec la bénédiction de ma mère. Quand je gagnerai beaucoup d’argent, je retournerai au village pour m’occuper de ma mère et envoyer mes frères à l’école. »
C’est mieux que rien !
L’espoir d’un lendemain meilleur, c’est ce qui retient ici deux autres jeunes frères que nous rencontrons un peu plus loin. Moussa et Ali Ouédraogo lavent le minerai. Le travail consiste à faire écouler les boues de minerai avec un courant d’eau sur une planche de bois creux, couvert d’un tapi spécial qui piège l’or tandis que le sable est évacué. Ensuite, la matière piégée par le tapis est reversée dans un plat pour extraire l’or. Une fine couche jaunâtre commence à se dégager du fond du plat. C’est de l’or, nous explique Moussa. Mais ceci est insignifiant nous avertissent les deux frères : « la partie importante de l’or se trouve dans cette boue que vous voyez là. Mais ceci n’est pas à nous ». En effet la matière jaunâtre qui reste au fond du plat est la récompense qu’ils obtiennent du propriétaire du minerai, une fois débarrassée de son sable encombrant. « Ce n’est pas beaucoup mais c’est mieux que rien », note en passant Moussa qui affirme qu’après deux jours de dur labeur, il pouvait gagner avec son frère, un à deux grammes en fonction de la teneur en or. (Un gramme d’or est vendu sur le site à 20000 FCFA)
De loin un jeune, Karim Sana, jetait un coup d’œil en direction de Moussa et de son frère. Habillé en chemise blanche, les souliers noir bien brillant, il semblait avoir atterri d’une autre planète comparé à tous ces jeunes habillés en vieux t-shirt déchirés par endroit, qui semblaient n’avoir pas pris de bain depuis une éternité. En fait, c’est à lui qu’appartient le minerai. Il est le propriétaire des trous et embauche des jeunes qui creusent pour lui. Ensuite, il prend des gens qui concassent le minerai que les jeunes ramènent du trou. Selon Moussa, le patron possède à lui seul une dizaine de broyeuses sur le site. Sur chaque machine, il a responsabilisé un jeune qui se charge de broyer le minerai concassé, que ce soit pour le patron lui-même ou pour d’autres personnes, moyennant de l’argent. C’est ainsi que Karim, maraîcher en son temps, a pu faire fortune. Il fait partie de ceux à qui l’or a apporté le bonheur. Il vient sur le site avec une voiture Toyota (avensis 2.0) grise pimpante qui attise davantage l’appétit de tous ces jeunes qui n’avaient qu’une seule chose en tête : devenir riche.
Oui devenir riche ou sinon mourir ! Telle est la devise de Ousséni Tindano. Ce fils d’agriculteur ressortissant du village de Bissa dit ne plus avoir foi en l’agriculture. Il a étudié jusqu’en classe de quatrième avant de rentrer en famille, faute de moyens financiers. « Là-bas, c’est la pauvreté extrême. On cultive chaque année pour ne rien récolter. Les sols sont très pauvres et, il ne pleut pas assez. Nous ne mangeons jamais à notre faim. Donc j’ai préféré fuir. Ici au moins je gagne un peu d’argent et j’arrive à manger ce que je veux » se confie-t-il. Il dit être conscient des dégâts que son travail pourrait causer sur sa santé. Mais ce n’est pas son problème car, pour l’instant, il vit et espère tomber un jour sur le lingot d’or qui changera à jamais le cours de sa vie. Et si ce n’est pas le cas ? « Plutôt mourir que de repartir au village sans sous. En tout cas c’est l’or ou la mort, nous vaincrons », répond-il. Pourtant, il nous raconte qu’un de ses frères qui avait longtemps séjourné sur les sites d’orpaillage autour de Poura, était revenu mourir au village d’une maladie qui l’empêchait de respirer. Son père lui avait dit que quelqu’un qui était jaloux de son frère lui aurait jeté un sort.
L’or et le sexe, jamais l’un sans l’autre !
Enfin un endroit pour la distraction ! Car nous commencions à nous demander comment quelqu’un pouvait vivre pendant plusieurs mois dans ce trou. Une sonorité en vogue, « Me amore » de Floby se dégageait d’une tente. C’est un maquis. Des jeunes y rentraient et sortaient en groupe. Nous pénétrons sous un autre hangar un peu moins bruyant. Une surprise attendait mon collègue qui retrouve une de ses cousines du village, âgée d’une vingtaine d’années. Auparavant serveuse dans un maquis à Dori, elle a décidé de suivre les orpailleurs pour vendre la boisson.
Cette aventurière comme elle se désigne elle-même, venait de déposer son maquis mobile à Ronguin.
Une odeur nauséabonde était par moment entrainée vers nous, témoignant de la présence de toilette dans les parages. De toilettes, il s’agissait en fait de surfaces de 50 à 75 cm2 entourées en pailles, sans toit. Là encore, c’était le gagne-pain de jeunes qui veillent strictement sur les lieux. Les usagers devaient payer pour se soulager.
A quelques 100 mètres de ses toilettes, il y avait une dizaine de huttes isolées, aménagées de la même façon. Construites à l’aide de 4 ou 6 morceaux de bois, entourés de sac de ciments, ces abris de fortune d’à peine un mètre carré servent de lieu pour un autre modèle de distraction : le sexe. C’est le salon de celles qui exercent le plus vieux métier du monde, les péripatéticiennes ou prostituées. « Vous les reconnaîtrez facilement par leur aspect singulier » nous avait prévenu Mme Traoré non sans signaler qu’à cause de la chaleur, les propriétaires des lieux abandonnaient leur maison de fortune dans la journée pour ne revenir qu’à la tombée de la nuit. D’ailleurs a-t-elle confié, ils n’en restaient plus beaucoup dans les parages car elles disent que ça ne marche pas bien ici. Certaines ont décidé d’aller voir ailleurs. Selon les témoignages que nous avons reçus, il y a plus de prostituées occasionnelles que de métier sur le site. Le jour, elles s’activent sur le site comme tout le monde, et la nuit, se reconvertissent en prostituée à la demande.
Tout autour des huttes, des paquets de préservatifs vides étaient éparpillés. Curiosité oblige, nous dégageons les rideaux pour voir l’intérieur. Des préservatifs usagers avaient été abandonnés un peu partout témoignant de l’ampleur du travail qui se faisait dans cet endroit à certaines heures. Les propos de la présidente d’une association de lutte contre le SIDA, nous reviennent en mémoire. Elle décrivait cet endroit comme un guichet de distribution de maladies sexuellement transmissibles. Elle témoignait avoir rencontré sur des sites d’orpaillage, des prostituées malades du VIH/SIDA, qui avaient eu accès à des antirétroviraux.
Si les bras valides sont tous dans les mines, qui nourrira le peuple burkinabè ? Dans quelques années, il faudra sans doute s’attendre à subir les conséquences sanitaires sur ceux qui constituent aujourd’hui l’avenir du Pays.
Pendant que notre véhicule s’éloignait du site, je repense aux propos de « ma maman » : « Ici, ce n’est pas une vie. Moi jamais je n’enverrai mes enfants ici. Dieu merci je gagne suffisamment pour payer leur scolarité. Et comme ils se débrouillent bien à l’école, j’espère un jour qu’ils vont me faire sortir de cette merde ! »
Pendant ce temps, le soleil poursuivait sa course folle vers l’ouest. Tandis que certains quittaient le site, d’autres par contre y retournaient. C’est dire qu’ici, le lever et le coucher du soleil n’ont pas la même signification qu’en ville. Source: Sidawaya/carrefour Africain
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